Les forcenés de l'Alpe

Un été passé aux sources du Beaufort…

Ci-joints des textes et clichés pris avec un petit Alpha 6. La teinte volontairement alpestre s’inspire d’un été passé avec les alpagistes de la zone de production du fromage de Beaufort (Beaufortain, Val d’Arly, Tarentaise et Maurienne).

1er juin 2016Florimond et Denis ont effectué leur première remue. Des fermes de la Picherie, sur les hauteurs d’Arêches, ils ont mené leurs bêtes au chalet de la Tête. Ce déplacement intermédiaire vers les « montagnettes » préfigure les migrations estivales vers les hauteurs. Egalement moniteur et compétiteur l’hiver, Florimond reproduit avec son associé un rituel ancien qui se soumet aux progrès de l’été…

« Enmontagnette »

Jours ombrageux d’un juin brumeux,
Les nuages ont léché vos verdoyants alpages.
La mousse exhale, les rousses râlent,
Il est temps d’entamer l’emmontagnée « te dieu ».
Passé la traite, on s’y apprête,
Et que valse la troupe, que s’élancent les croupes.
Au trot pressé, au pas pesé,
Capricieuses, cornes, clarines crapahutent.
Brin de soleil, gerbe d’oseille,
S’échancrent les nuées, s’enchantent les hauts prés.
Et tout s’élève, et tout soupire

Pour l’herbe aux véroniques, l’ivresse aux boûtons d’or.

Arêches-Beaufort – Plan Mya, 5 juillet

Là-haut dans l’arène, Au-delà de Roselend, bien au-delà,
Dans le cirque des nues, Le ciel de Plan Mya,

S’échine la sentinelle, Seigneur des pâturages.

Tarin tauride, son pas terrasse, L’aigre vérâtre, l’orgueil de la mollesse.
Tandis qu’oscille, précaire en son lapiaz,

De Bruno le saint lys, le songe des alpages.

Foins, 11 juillet

Foin des chaleurs dans le Beaufortain, la saison bat son plein ! Les familles se mobilisent lors des hautes chaleurs.
Tandis que le Val d’Arly revêt ses ors vespéraux avant la venue des orages…

Peisey Nancroix – Vallon des Rossets, 13 juillet

Alors que s’effilochèrent les troubles de l’orage, les dernières gouttes d’argent perlaient en hommage. Ma visite à l’alpage des Rossets en Tarentaise ce jeudi 13 juillet me dévoila un brasier de chaleur humaine. Les toiles de lin employées pour recueillir le caillé blanchissaient dans la brise fraîche. Mais au cœur du foyer, trois générations de la famille Poccard s’unissaient en un clair-obscur digne des plus grand maîtres baroques. Jean, Pierre et l’espiègle petit Zian, Anne-Sophie et Anaïs composaient un dégradé fervent et harmonieux, généreux et bienveillant.

Haut Beaufortain – Cormet d’Arêches et Roselend, 16-17 juillet

Les orages passés, le haut Beaufortain se fait magnanime. De la Pierra Menta au lac d’Amour, du Cormet d’Arêches à Roselend, c’est une explosion de pensées, d’anémones et de gentianes sur un parterre émeraude. Tandis qu’au loin, l’horizon s’épanouit sur les cimes ivoire du Mont Blanc.

Tour de France – aux Saisies, 22 juillet

De Bisanne au col des Aravis, de la Forclaz de Queige aux Saisies, le Tour de France traverse nos pâturages ces jours-ci. A l’élan des coureurs fait écho l’adresse des faneurs. La tension musculaire, la grâce du geste ne sont-elles pas comparables ?

Crest-Voland – Mont Lachat, 25-27 juillet

Voici les beaux jours, les jours fleuris, les jours épris du Val d’Arly !

Lovées entre les Aravis, le Mont Blanc et l’immense tourbière des Saisies, les pentes de Crest-Voland battaient au tempo de l’été. Fièvre des foins et cadences des traites entraînèrent Fabrice, Nathan, Gabin et moi-même dans leur valse impétueuse. Dans l’étourdissement de cette nature vrombissante, vous excuserez ainsi ce léger roupillon…

Valfréjus – Alpage du lavoir, 29-30 juillet

Sur les hauteurs lumineuses de Valfréjus, à l’alpage du Lavoir, la famille Martin Fardon investit des espaces autrefois dédiés à la ligne Maginot. L’immense caserne cuivre qui les loge tous résonne d’une régularité presque militaire, qu’il s’agisse du réveil pour la traite à 4h ou de la manipulation des meules le soir. Le grand Eric, inépuisable maître fromager, y est aidé de Dominique au regard de tzigane et de Frédéric à la voix chantante. Face aux neiges de la Dent Parrachée, côtoyant l’âpre massif des Cerces, nos bergers d’Icare s’y consument quotidiennement au soleil des lieux…

Col des Aravis – Alpage de la Frête, 1-3 août

Chez les Bibollet de la Frête, près du col des Aravis, l’on ne sait où donner de la tête. Les falaises calcaires et abruptes dominent le petit alpage qui se blottit sur lui-même face à l’imposante masse du Mont Blanc. L’eau du bachat, les sapinières noires ou les volutes du ciel : tout y vibre de la présence du sommet légendaire. Enceints de sous-bois qui embaument les girolles, Claude et Nathalie y sont d’autant plus inspirés pour guider leurs bêtes. Riverains de la Haute Savoie, ils destinent leur lait qui au beaufort et qui au reblochon…

Peisey-Nancroix – Vallon des Rossets, 4-6 août

Chez les Poccard dans la vallon des Rossets, l’orage et la grêle firent comme une trêve dans l’ardeur estivale. Mais la fromagerie d’alpage, tiède et moite, résonnait toujours des clameurs de Marc, de Jean-Baptiste ou de Valentin. Le soir, on s’exaltait dans la ferveur des veillées. Et la passion des cimes se perpétuait autour de gaillardises, d’un bras de fer ou d’un sourire.

Les Saisies – Alpage des Halles, 8-9 août

Au crépuscule bleuissant des Saisies, le poêle crépite dans l’alpage des Halles. A travers le carreau nimbé d’une buée veloutée se dessinent les membres de la famille Simon. On y joue aux cartes et des éclats de rire se font entendre.
J’entre. Les nuées abreuvent les prés et nos lèvres s’humectent d’un café noir. Pierre et Véronique, la biathlète Julia et ses deux soeurs respirent les premiers soupçons d’automne. Et pour le plus grand bonheur de tous nos sens s’obstine le chant des girolles, l’aubade aux chanterelles !

Montaimont – Alpage de la Ramée, 10-12 août

Sur le vaste plateau de Montaimont, à l’alpage de la Ramée du GAEC des Deux Montagnes, ce sont des femmes qui mènent la danse. Raymonde et Anaïs Pellissier, mère et fille, guident le troupeau face aux glaces du Pic de l’Etendard. La traite y est magnifiée de perles. La visite des génisses et des veaux se fait dans la suavité de tirililili  qui évoquent Manon des Sources. Et lorsque le soleil inonde les lieux, les foins s’animent de la présence de la grand-mère parée pour l’occasion.

Les entraînements de Marion, la fille membre de l’équipe nationale de ski alpin, rythment enfin les charmes de cette alliance toute féminine.

Ville des Glaciers – Alpage des Rullier, 16-17 août

En pénétrant le domaine des Rullier à la Ville des Glaciers, on touche comme aux frontières du monde. Sous le sacre de la chapelle familiale, l’on s’introduit dans l’une de ces enclaves secrètes et recluses qui finissent par obséder l’esprit. Se déployant sous les mosaïques bleuâtres de l’Aiguille des Glaciers, l’alpage y reluit des micas qui l’enceignent. Doux chatoiement d’argent ou flamboiement terrible selon qu’il y ait de l’orage ou du soleil. Mais quelle que soit l’humeur du ciel, Gérard, Martine, Bruno et Marine répondent présent pour « monter aux vaches », badiner sans relâche ou nourrir joyeusement la flamme du foyer.

Courchevel – Alpage de Pralong, 18-19 août

C’est aux halles de Pralong, à deux pas de l’hôtel***** Annapurna, que vous pourrez apercevoir Pascal Million de la Ferme du Pralin. Faisant slalomer ses vaches sur les pistes, ce grand gaillard industrieux fait figure d’irréductible face aux ors d’une telle station.

Quand elle ne besogne pas, la maisonnée se revivifie auprès du poêle. Les quadrilles canines tanguent alors sur les pompompom d’un tuba d’’argent. Et les taureaux reprennent en coeur l’allègre refrain issu tout droit du nirvana.

Elle dévale la montagne – méditation sur l'eau

Qu’on la redoute ou qu’on l’admire, la montagne est une arène mobile et ondoyante. L’eau dans tous ses états, particulièrement, lui prête des visages insaisissables. Cette évanescence se compose de vapeurs élusives, de cristaux en équilibre ou de sources inconstantes. Elle témoigne combien les cimes résultent d’une gravité et d’une instabilité permanentes.

C’est avec cette labilité des fluides, quelque part, que les alpagistes du beaufort doivent s’arranger. Car leur présence dans les hauteurs se justifie dans la nécessité de figer au plus près cet autre liquide qu’est le lait. Ecumes mousseuses, crèmes épaisses, caillés coagulés, décaillés grumeleux, bouillons embués et autres émulsions versatiles se combinent alors en un prodige esthétique semblable à celui des sommets.